Mihai Eminescu

Publié le par Ivan de Duve

Mihai EMINESCU

 

 

Première lettre (extrait)

 

 

 


BIBLIOGRAPHIE

 

 

 

Mihai EMINESCU est né le 15 janvier 1850 à Botochani en Moldavie sous le nom de Mihail Eminovici. Après de brèves études auxquelles un manque d’argent met fin, il devient, en 1864, fonctionnaire au  Tribunal de sa ville natale. En 1865, nous 1e retrouvons bibliothécaire à Tchernautsi avec comme professeur et mentor Aron Pumnul. Il publie dans la revue Familia de Pest dont le directeur Iosif Vulcan le convainc de changer son nom en Mihaï Eminescu. En 1866, il déménage à Blaj en Transylvanie. En 1867, il entre comme souffleur et copiste dans la troupe théâtrale de Mihail Pascali au Théâtre National de Bucarest.  Il y commence la rédaction de son roman Geniu Pustiu (Le génie vide-désert). En 1869, n’ayant pas son baccalauréat, C’est comme simple auditeur qu’il s’inscrit à la faculté de philosophie de l’Université de Vienne. Il y fréquente peu les cours. Par contre, son assiduité à fréquenter la bibliothèque est remarquée. II écrit des articles prônant l’intégralité du territoire roumain, En 1871, il écrit une première version de Imparat si proletar (L’Empereur et le Prolétaire) qui témoigne d’une influence certaine des événements de la Commune. C ’est probablement de 1872 que date sa première rencontre à Vienne avec la poétesse Veronica Micle qui devint le grand amour de sa vie. Le même année, il écrit la nouvelle Sarmanul Dionis (Le pauvre Dionysos) et il déménage pour suivre l’université de Berlin des cours de philosophie, histoire, économie et droit En 1873, armée difficile pour lui, il s’engage au Consulat de Roumanie à Berlin, renonce à la Faculté , s’y réinscrit… mais ne passe aucun examen. En 1874, il se voit proposer de passer rapidement un doctorat en philosophie ce qui lui permet d’être nommé professeur à l’université de Iassy, capitale de la Moldavie II renonce à ce poste et est nommé directeur de la Bibliothèque Centrale de lassy. Parallèlement, enseigne la logique à l’Institut Académique de la même ville. En 1875. il y est nommé réviseur scolaire et y fait la connaissance de Ion Creanga, considéré comme le plus grand conteur roumain. En 1277, il entre au journal Timpul (Le Temps) de Bucarest et se dédie au journalisme, Il écrit des articles littéraires et des chroniques théâtrales. En même temps il continue à publier des poèmes dans la revue Convorbiri literare (Entretiens littéraires) de lassy. C’est dans cette revue qu’en 1881 il publie sa quatre lettres (nous publions ici, traduit en français, un extrait de la première de ces lettres). En 1883, paraît son fameux poème Luceafarul (L’Etoile du berger) auquel il doit son surnom de Luceafarul (L’étoile la plus brillante) de la poésie roumaine. Il est déjà alors considéré comme le dernier grand romantique du monde, C’est également en 1883 que se déclenche sa maladie mentale. Il est hospitalisé à Bucarest puis à Vienne. Toujours en 1883 son premier volume de poèmes est publié. En 1884, il fait un voyage en Italie. Sa santé semble s’améliorer mais se dégrade à nouveau. En 1885, il voit son second volume de poèmes édité. En 1886, il passe de l’état de crise à celui de mieux-être. En 1888, il se remet à la rédaction d’une grammaire sanscrite. Au début de 1889, il se sent aller mieux ce qui ne l’empêche pas de s’éteindre le 15 juin 1889. Ses derniers poèmes seront édités après sa mort. Mihai EMINESCU est considéré, à juste titre, comme le plus grand poète roumain de tous les temps.

 

lulia TRIFAN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette Première lettre a été publiée le 1er février 1881 (An. XIV, p, 405) sous le titre original de SCRISOAREA 1 dans CONVORBIRI LITERARE. Le présent extrait a été traduit du roumain en 1994 pour la revue ALTAIR par Isabelle et Ivan de Duve

 

 

 


À notre ami Pavel Trifan

 

I.d.D.

 

 

 

Première lettre (extrait)

 

 

Quand, les yeux fatigués, je mouchai la chandelle

 

La pendule égraina les heures éternelles,

 

Au milieu de la nuit, j’écartai les rideaux

 

Et la chambre s’emplit comme de vapeurs d’eau.

 

Je me souvins alors des douleurs que la lune

 

Dans mon songe incertain extrayait une à une.

 

 

***

 

 

Reine des océans, ô lune qui éclaire

 

Sous la voûte du ciel tant de choses sur terre,

 

Tu nous baignes, enfants, ô servante, ô ma sœur,

 

De ton baume lacté, pour calmer nos douleurs I

 

 

Survolant nos forêts, en scintillant, ô lune,

 

C’est l’éveil du printemps que ton rayon allume !

 

 

Tu sauves ce marin que vagues et roulis

 

Dans son isolement font rêver d’un bon lit !

 

 

Et pour ceux-là qui songent, à combien de fenêtres,

 

Dans ton premier quartier, fais-tu plus que paraître ?

 

 

Quels rivages fleuris, quels palais et cités

 

Ton charme ensorceleur a-t-il donc envoûtés ?

 

 

***

 


Ici. un Roi, perdu dans ses pensées, se sonde :

 

Comment tisser ma toile autour du vaste monde ?

 

 

Un misérable hère, là-bas, tendant la main

 

Ne se demande pas ce qu’il mange demain.

 

 

Leurs destins les séparent ; leurs passions les renforcent Ton monde les relie ou de  gré ou de force.

 

 

Qu’ils soient sots ou malins, bohémiens ou puissants,

 

Ton rayon et la mort les unissent dans le sang.

 

 

Le premier, admirant sa propre chevelure,

 

Trouve dans son miroir qu’il a très fière allure.

 

 

Le second, lui, l’hiver, recherche dans les bois

 

Mille feuilles jaunies qui crissent sous le doigt :

 

La Vérité s’y trouve ; il la sent, il la cueille ;

 

C’est vraiment le Saint-Graal qu’en ses mains il recueille.

 

 

Le dernier, quant à lui, tel un riche Pacha,

 

Compte sur son boulier ses ventes et achats

 

Et rêve à ses galions qui, poussés par la brise,

 

Lui rapportent du loin ces tas d’or qui le grisent.

 

 

***

 

 

Perdu sans ses calculs, un Maître très âgé

 

De son bon vieux veston aux coudes usagés

 

Enfonce dans le col une tête bien ferme

 

Et sur un corps tremblant son peignoir se referme.

 

 


Du coton dans l’oreille et tout voûté qu’il est

 

Il calcule sans fin. Et sans le dérouter

 

C’est dans son petit doigt qu’un Univers s’érige :

 

Présent et Avenir se rejoignent et s’y figent.

 

 

Comme pour l’Éternel le Ciel n’a pas de fond

 

Pour lui, nombre après nombre, en algèbre il se fond.

 

 

   Ainsi qu’aux anciens temps, Atlas sur les épaules

 

   Un Monde soutenait, c’est comme un frêle saule

 

   Que le vieux Professeur enferme dans ses rets

 

   Et le Ciel et le Monde en un Nombre secret.

 

 

***

 

La lune fait briller le dos de tes volumes

 

Et ta pensée t’emporte au milieu de ses brumes !

 

 

Au début n’existait ni être ni néant

 

Et tout n’était que manque et non-être béant !

 

 

Quand tout était caché apparut un abîme :

 

L’impénétrable aussi devait payer sa dîme !

 

 

Qu’y a-t-il en ce monde ? Qu’y a-t-il donc à voir ?

 

Une mer sans rayon ou bien un grand trou noir !

 

 

Et que nous reste-t-il ? Vers quoi pouvons-nous tendre ?

 

Ni œil ni même oreille pour voir ou pour entendre !

 

***

 

 


Nulle chose existait, rien n’était recensé,

 

Et l’ombre sous le ciel n’avait pas commencé ;

 

Une éternelle paix n’était pas maîtrisée ;

 

Nulle ombre avec soi-même n’était réconciliée...

 

 

Puis, tout à coup, un point, une lueur, un trait

 

Bouge dans ce néant et la vie apparaît !

 

 

Et comme du chaos l’ombre était la mère

 

Ainsi ce point du jour du monde devint père !

 

 

Un mouvement naquit en ce tout faible point

 

Que la fragilité de l’écume rejoint !

 

 

Il devint aussitôt aux limites de l’onde

 

Le Maître incontesté qui règne sur le monde !

 

 

Depuis lors le néant se défait en morceaux ;

 

La lune et le soleil illuminent les eaux !

 

 

Dès lors jusqu’aujourd’hui naissent du fond des nues

 

Des myriades de mondes et des vies inconnues...

 

 

Un essaim lumineux formé de cette nuit

 

Fut créé et soudain tout devint infini !

 

 

Venus de ce grand monde, c’est en vraie fourmilière

 

Qu’enfants du petit monde nous peuplâmes la terre...

 

 

***

 


 

 

Peuples microscopiques : sages, savants et rois,

 

Nous alternant et nous étonnant à la fois,

 

Au - travers des générations successives

 

Nous peuplons, tour à tour, une terre lascive !

 

 

Ressemblant à des mouches qui sur un monde nain

 

Grand comme une coudée s’agglutinent pour rien,

 

Nous tournons et tournons dans l’univers immense

 

Où notre monde noir tristement se balance !

 

 

Derrière et devant lui, il n’est que noir néant

 

Où le monde se meut comme poussière au vent !

 

Sous le dard d’un rayon de couleur violette

 

Cette poussière joue et soudain fait la fête.

 

 

Et puis tout-à-coup la nuit fait un effort :

 

Son rayon qui reluit permet de voir encor...

 

Lentement tout périt : et en noir va se teindre.

 

Et la nuit devient sombre ; sa lueur va s’éteindre !

 

 

***

 

 

C’est le Sage à présent qui se met à penser ;

 

Il sonde le passé. Et cela, nul ne sait -

 

Pour combien de nos siècles ou de nos millénaires.

 

Puis revenu de loin au centre de notre ère

 

Il saisit ce nouveau, rouge et triste soleil

 

Qui, comme une blessure ou comme un brusque éveil,

 

Tout-à-coup se referme ; et d’un départ honteux

 

Se cache parmi les nuages ténébreux !

 

 

 



Mettant, après cela, à la lumière un frein,

 

Échappées du soleil, les planètes, sans fin

 

Rebelles à ce monde, y mettent un couvercle,

 

Cachant le soleil noir que toutes elles encerclent !

 

 

Comme feuilles d’automne, les étoiles ont péri.

 

Le temps couvre ce monde où nul soleil ne luit,

 

Fait que tout disparaît, que rien ne peut paraître.

 

Puis l’Éternité vide une nuit de non-être...

 

 

***

 

 

Traduit du roumain par Isabelle et Ivan de Duve

 

Publié dans Poëmes

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